Le site pétrochimique de Lavera, à coté de Martigues…
De Lavera à l’Aveyron, il y a comme une rime ; il y avait surtout l’appel de lanature après 35 ans de carrière dans la chimie d’abord à Pierrelatte puis dans la pétrochimie à Martigues Lavera. Un pied à terre au début, vers un monde calme, équilibré, naturel dans le sens étymologique du mot, avec ses chemins creux, ses fleurs ses papillons et ses saisons. Fallait oublier le temps d’un week end au début, le bruit, les odeurs, le danger d’incendie, d’explosion que représentent ces installations.
Le danger potentiel que représente le site de Lavera est considérable, avec sa production de chlore et son stockage, son énorme vapocraqueur, un des plus gros d’Europe, sa production d’oxyde d’éthylène et son stockage, sa sphère de stockage d’éthylène liquide .je ne citerai pas tout, mais sachez par exemple que le pouvoir détonnant de l’oxyde d’éthylène est égal au TNT, et qu’il y en a plusieurs centaines de tonnes à Lavera. Que nombre de produits à une époque servait de base à la production de gaz de combat et de défoliants….De part le canal syndical dans lequel je m’activais, j’étais au courant des incidents, accidents, presque accidents, et de part les réunions avec la direction, des nouvelles mesures de réduction des coûts, ce qui voulait dire malgré nos récriminations, souvent aussi moins de sécurité….
Ici, à Lavera dans l’usine de la BP, comme dans l’usine à coté de la chimie de Total, on est dans le monde de la contrainte et de la rigueur….On casse, on sépare, on assemble des molécules pour en faire d’autres, on craque, on synthétise, on polymérise, on électrolyse, on distille etc. Bien évidemment dans ces lieux réactionnels, fours, réacteurs, cellule d’électrolyse, colonne à distiller, on chauffe, on comprime très fort, on refroidi, on agite, tout cela dans des gamelles extraordinairement grandes….c’est le monde de, la démesure et du danger, du travail des hommes et des femmes, et aussi bien entendu de la valorisation du capital….Des centaines de kilomètres de tuyauterie font le lien entre stockage et unités de production, des trains entiers entrent et sortent de l’usine, une noria ininterrompu de camion chargent et déchargent de même que des bateaux au port tout proche, et pour finir des oléoducs avec des ramifications dans toute l’Europe..
A la fin des années 70, nous étions plus de 3000 à nous activer dans cette enceinte en bordure de la mer, plusieurs centaines d’entreprises sous traitantes participait à l’entretien de cette gigantesque plateforme. Nous jouxtions la raffinerie qui nous donnait notre matière première, une espèce de pétrole lampant, le naphta….
Chemin faisant, les choses évoluèrent, la concurrence s’aiguisa, les unités de production augmentant incessamment leur performance jusqu’à créer des surcapacités de production. Les nouvelles technologies prenant le relais et intégrant les savoirs faire anciens. L’automatisation et la conduite centralisée et informatisée des installations devinrent la règle avec le concours de la modélisation, ce qui fit fondre les effectifs. La pression des actionnaires par la voix du conseil d’administration se faisait de plus en plus forte ; ils voulaient dés le début des années 90, 15% de rendement sur les capitaux investis. Les batailles syndicales ne changeaient pas grand-chose, si ce n’est de limiter les dégâts et l’application du droit du travail Français, tout de même plus avantageux que le droit du travail Anglais. En face de nous, il y avait des cadres dirigeants formés à ce nouveau combat et payés comme des ministres qui appliquaient, main de fer dans un gant de velours, les consignes Londoniennes…Le lev motif était la réduction des coûts et des effectifs…. C’est dans cet esprit là que le centre de recherche et développement qui comptait environ 400 techniciens dont 150 ingenieurs,vendait des licences et des designs d’unités de production de polyéthylène partout dans le monde, disparaît du paysage et moi avec…Je serais payé 70% de mon salaire brut jusqu’à mes 60 ans par la société. Ils iront encore plus loin puisqu’ils vendront la société pétrochimique et la raffinerie à des fonds de pension spécialisés dans la reprise d’usines chimiques…Les dernières frasques de la BP sont bien entendu cette marée noire dans le golfe du Mexique, la plus importante jamais enregistrée ; A cette dernière, sa majesté à bien failli y laisser sa chemise. Comme quoi les réductions de coûts ont des limites.
Aux dernières nouvelles, Petro China (oui, les chinois) prendrait des participations à Lavera.
Plutôt heureux de quitter l’univers impitoyable de Lavera en avril 99, sous la férule maintenant de la dictature des fonds de pensions . je garderais le sentiment que dans la tourmente ultra libérale et mondiale.Nous avons pu, une poignée de militants, et grâce aussi à une tradition de lutte à Lavera, faire appliquer le droit du travail français et preserver certains avantages. Nous avons bénéficié d'une culture de la lutte acquise depuis mai 68, et même avant. Les années Mitterrand ont aussi mieux codifiées les licenciements économiques, ils obéissent à des règles bien précises appliquées sous le regard de la Direction Départementale du Travail . Un plan social doit être élaboré, avec pour mission d’essayer de reclasser les plus jeunes, il doit prévoir de la formation, aider les salariés qui voudraient créer leur entreprise, verser les primes de licenciements prévues par les conventions collectives tout au moins etc. Mais attention, les patrons européens et leurs sbires étudient comment détricoter les avancées de certains pays pour ce qui concerne le droit du travail….Après ce sera, on a plu besoin de toi, casse toi pauvre c… ! Pour lutter contre les directives néfastes pour l'entreprise prisent par les directions, il existe aussi le droit d’alerte. Un cabinet d’expert enquête et juge le bien fondé des décisions patronales. Nous ne regrettons pas, avec Christian d’avoir déjà en 1994 lors d’un premier licenciement économique, d’avoir actionné ce droit d’alerte, lui comme responsable du CCE et moi responsable du CE, avec l’apport des voix des élus CGT.Comment ne pas réagir, nous étions au coude à coude avec l'américain Union Carbide pour l'innovation dans la fabrication du polyethyléne . Une baisse de l'effectif de la recherche et developpement pouvait être fatal à BP et aux salariés . Malheureusement, suite à une action de la direction, le TGI de Nanterre a jugé ce droit d'alerte irrecevable ; comme quoi les juges se moquent du devenir de la recherche et de l’industrie.
Si le chacun pour soi continue ses ravages, offrant les uns et les autres à la folie meurtrière des états majors des grandes multinationales et leurs tueurs de coûts et d’effectifs, pour des politiques non plus industrielles, mais financières du très court terme, les salariés n’ont pas fini de désespérer du travail...
* Union Carbide, vous vous rappelez de la catastrophe de Bhopal en Inde, en 1984 ; l'usine de pesticide a explosé faisant au moins 8000 morts et 300 000 malades incurables..Les Indiens attendent toujours la décontamination du site...